
UN JEUNE BASQUE DANS LA RESISTANCE,
DE ST JEAN DE LUZ A BUCHENWALD
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Gabriel TELLECHEA
31 Octobre 1919 – Avril 1945

Le 10 Décembre 1943 en fin de matinée, on frappe à la porte du 157 rue du Hautoir à BORDEAUX. Amatto (Ernestine IRIGOYEN, épouse de Gabriel TELLECHEA) tarde à ouvrir. Les coups redoublent et la porte est enfoncée. Entrent quatre militaires allemands casqués, armes au poing, deux Allemands en civil, vêtus de noir (Gestapo ?), et un Français, en costume et chapeau.
Ils demandent Gabriel, qui doit rentrer vers 12 h, fin de son service, commencé tôt le matin.
Amatto ayant tardé à ouvrir la porte, une fouille méthodique et violente de la maison est entreprise. Il faut dire que, la veille, un froid glacial s’était abattu sur la ville, et que, frigorifié, le jeune couple avait brûlé jusqu’à ses valises dans la cheminée de la chambre… Les Allemands examinent attentivement les cendres.
Gabriel arrive, et est arrêté devant son épouse.
La personne qui parle français lui dit : “ Ne vous inquiétez pas, il rentrera pour déjeuner dans l’heure qui suit… ”
l’Intendant Régional de Police à Monsieur le Préfet régional.
Amatto est ensuite entendue par deux fonctionnaires de la Police française, l’un gentil, l’autre “ ustela ”, selon ses paroles.
Des billets, transmis sous la porte de son domicile, l’informeront de l’incarcération de Gabriel à la prison du Fort du Hâ à BORDEAUX.
Les Services de Police lui proposent de l’accompagner lors des visites autorisées le lundi, au Fort du Hâ, afin de lui éviter de faire la queue, car habituellement, malgré une longue attente les familles ne voient pas leur détenu.
Amatto accepte, mais son arrivée, escortée par un gardien de la paix, déclenche des cris et des injures.
Elle continue seule à se rendre au Fort du Hâ jusqu’au 24 janvier, mais ne le voit jamais.
La Police allemande faisait entrer deux ou trois familles ensemble dans une pièce et prenait les paquets apportés. Amatto apportait uniquement du linge propre.
Elle reçoit deux lettres qui permettent de penser que Gabriel sait qu’il “ va faire un voyage ” et qu’il n’a pas de nouvelles de sa femme.
“ Madame Tellechea – 157 Rue du Hautoir – Fort du Hâ le 10/1/44.
Ma petite femme bien aimée. Voila un mois que je suis en prison. Je n’ai pas besoin de te dire que le temps me semble bien long. A toi aussi ma pauvre chérie le temps doit te paraître bien triste et tu dois beaucoup souffrir. Je serais bien heureux d’avoir quelques nouvelles de toi. Sur ton moral et aussi sur ta santé. Je vois encore ton triste visage tout décoloré lorsque ces messieurs sont venus me chercher. Mon pauvre Titou ! comme tu as dû être malheureuse et comme tu as dû souffrir ! ”
“ Pour mon compte j’en souffre bien, mais ce qui me fait le plus mal c’est de ne pas t’entendre, de ne plus te voir. Dire que je ne pouvais pas rester sans toi pendant huit jours et voilà un mois que je ne te vois quand rêve. Je t’assure que tu passes plus d’une nuit avec moi malheureusement ce n’est quand rêve. Il y a des moments où je me sens devenir fou. Il vaut mieux que je ne te parle pas du régime intérieur de la prison ! On a dû certainement t’en parler et tu as dû te rendre compte… ”
“ … que ce n’est pas brillant. Heureusement qu’il n’y en a pas pour longtemps et que d’ici un mois ou un peu plus je serais à nouveau près de toi et cette fois pour ne plus te quitter.
Il ne faut pas trop t’en faire à mon sujet. Je crois que (…). Espérons que ce sera fini avant. Le moral n’est pas trop mauvais, il n’y a que les nuits qui sont terriblement longues et je suis bien souvent réveillé. Moi qui aimait dormir. Je suis servi. ”
“ Maintenant je passe mes nuits à penser à toi et à notre petit. Je fais aussi de beaux projets qui j’espère ce réaliseront vite. Mais toi ma chérie comment vis-tu ? As-tu fait venir Mayie Jeanne où bien habites-tu à URRUGNE et viens-tu tous les lundis ? Tous les lundi matin le cafard redouble car je sais que tu es là tout près de moi et que je ne peux pas te voir. Je voudrais avoir quelques nouvelles de toi et de nos familles. Tu n’auras qu’à donner un petit mot à Madame Birot qui me le fera parvenir par l’intermédiaire de son mari. Il faudrait ma chérie que tu m’envoie une vieille valise au… ”
“ … cas où il leur prendrait la fantaisie de me faire faire un petit voyage. Ma pauvre chérie si tu savais comme on est malheureux en prison lorsque on aime. On est bien mieux au 157, tu sais, ça reviendra. Je pense souvent à “ Ama Socorrikoari ”. Ma première visite sera pour elle lorsque je sortirai. Et ta santé ma chérie comment va-t-elle ? As-tu été au docteur, que t’a-t-il dit ? Est-ce que tout se passe normalement ? Est-ce que la Police t’a payé mon mois ? Je te pose beaucoup de questions mais je ne sais si tu pourras répondre à tout. ”
“ Je ne sais quand je pourrais encore te donner de mes nouvelles, peut-être la semaine prochaine mais de toute façon ne t’inquiète pas outre mesure. Tout ira bien j’en suis sûr et bientôt nous serons réunis. Tu embrasseras mes parents et tu leur diras qu’ils ne s’inquiètent pas trop. Je vais te quitter ma pauvre chérie en t’embrassant de tout mon cœur et en te disant à bientôt. Ton mari qui t’aime toujours. – Gabriel.»
Amatto est informée, par un billet anonyme sous la porte, du transfert en train de Gabriel le 17 janvier 1944 pour un endroit non précisé.
Elle espère le voir sur le quai. Elle se lève tôt, vers 5 h, et en tramway se rend vers la gare; mais un grand détachement de militaires armés empêche toute personne d’accéder à ce quartier.
Elle revient rue du Hautoir et le 24 janvier, lors de la visite à la prison, il lui est indiqué que Gabriel est parti. Alors, découragée, elle décide de revenir à URRUGNE.
Elle réalise que la situation est extrêmement grave, et qu’il lui faut terminer sa grossesse le mieux possible.
Des souvenirs émergent : pourquoi se promenaient-ils souvent dans certains lieux de Mérignac ou dans des quartiers le long de la voie ferrée à Socoa, etc..
Elle se rappelle aussi la visite d’un inconnu à Bordeaux, lui demandant de dire à son mari que : “ les sardines de St Jean de Luz sont arrivées ”. Elle s’était réjouie, pensant que, pour une fois, ils allaient manger quelque chose de bon. Elle est triste et se sent trahie par son jeune époux, qui ne l’a pas mise au courant de ses activités.
Elle arrive à la gare de St Jean de Luz; Amatxi Mona l’attend et a préparé une bassine d’eau chaude, pour qu’elle se réchauffe les pieds.
Aitatxi Agustin est là. Elle leur raconte ce qu’elle vient de vivre et Aitatxi déclare : « On ne parlera plus de Gabriel ! ”.
Elle rentre à URRUGNE; ses parents sont là et son père lui dit :
“ Tu resteras là jusqu’à ce que tous ces événements se terminent ”.